Comment concilier protection des forêts et développement économique : Rapport des parlementaires sur les forêts tropicales en Indonésie

Par Bernard M.
Publié le 18 décembre 2012 à 10:56

Le rapport sur les forêts tropicales indonésiennes a été présenté le 3 décembre 2012 au Palais du Luxembourg lors du colloque « La forêt indonésienne : huile de palme, pâte à papier sont-elles des menaces? », qu’organisait le groupe sénatorial interparlementaire d’amitié avec l’Indonésie et le Timor-Est en partenariat avec l’Ambassade d’Indonésie en France. La mission s’est intéressée spécifiquement aux problématiques liées à la forêt indonésienne et à l’un de ses principaux industriels, l’entreprise papetière Asia Pulp & Paper (APP). Déplorant la poursuite de la déforestation sur l’ensemble de la planète et s’inquiétant de celle constatée en Indonésie, le rapport apporte des premières réponses pour ralentir son évolution : favoriser le reboisement et mettre en place au niveau mondial une reconnaissance mutuelle des certifications. Le texte insiste également sur la nécessité de concilier protection des forêts et prise en compte des besoins de développement des populations locales. Rédigé par Jean-Marie BALLU, spécialiste forestier français, le rapport fait part des observations constatées sur le terrain par Jacques LE GUEN, alors député du Finistère i, accompagné pour cette occasion de Catherine PROCACCIA, présidente du groupe d’amitié sénatorial, et de Michel VOISIN, député de l’Ain. Structuré en quatre parties – contexte mondial des forêts tropicales humides, situation des forêts en Indonésie, analyse des activités du Groupe APP, propositions pour l’Indonésie – le rapport constitue un document d’analyse indispensable pour la compréhension des enjeux et de l’industrie forestière dans ce pays ainsi que pour son gouvernement. Irréversibilité de la déforestation, réversibilité de la dégradation et de la surexploitation Si, au plan mondial, la déforestation ralentit sensiblement, elle se poursuit cependant inexorablement, à hauteur de 13 millions d’hectares. Les parlementaires soulignent la nécessité de continuer à porter une grande attention à la protection des forêts – 60 millions de personnes en dépendent économiquement – et plus particulièrement aux forêts tropicales humides qui représentent 1,340 milliard d’hectares. Sans véritable action volontariste, « il n’y aura plus guère de forêts primaires, si riches en diversité, à protéger ». Toutefois, si la déforestation porte une atteinte, très généralement irréversible, les phénomènes de dégradation et de surexploitation sont, eux, réversibles. Favoriser les plantations Face à ce défi, la mission préconise de favoriser dès à présent des solutions immédiates et pérennes permettant de réduire les impacts négatifs sur les forêts primaires. Les boisements et reboisements par plantations sont une première réponse à la déforestation. Très efficaces en matière de captation du CO2 et de stockage de carbone, ces reforestations sont indispensables pour lutter contre l’effet de serre et le dérèglement climatique. « Les plantations doivent être réalisées pour augmenter la disponibilité en bois de papeterie et interdire le recours aux forêts naturelles. Elles ne doivent être réalisées que sur des forêts fortement dégradées. Il y a une certaine incohérence dans le refus de certifier des plantations forestières dont l’objet est de permettre de ne plus toucher aux forêts naturelles ‘primaires’ ». Développer une reconnaissance mutuelle des certifications Ces experts considèrent que le refus de certifier de nouvelles plantations est une entrave à la limitation des effets du réchauffement climatique et peut conduire justement à la déforestation incontrôlée. Les deux principaux systèmes d’éco-certification, créés pour assurer la traçabilité et la légalité du bois, sont aujourd’hui FSC (Forest Stewardship Council) et PEFC (Program for the Endorsement of Forest Certifications). PEFC met en place des certifications de plantations, en revanche FSC, par l’application du principe 10.9, ou « Règle 1994 », refuse la certification de plantations postérieures à 1994, ce que les auteurs du rapport qualifient de « pêché originel» : il n’y a en effet guère de raisons objectives pour que l’année de création de la chartre FSC ait des conséquences sur la définition de la légalité du bois pour les pays émergents et donc sur les parts de marché de l’industrie papetière au niveau mondial. Ainsi, face au constat d’une insuffisante certification mondiale des forêts et dans l’intérêt d’une meilleure gestion de ces dernières et du développement soutenable, la recherche d’une reconnaissance mutuelle des certifications apparait d’une urgente nécessité ; éviter la double certification réduirait les coûts de celle-ci sur toute la chaîne et permettrait son développement. Le rapport souligne : « Au plan de la protection de la planète et de l’effet de serre, il parait préférable de reboiser, de capter en grand le carbone atmosphérique par des plantations forestières de production (…) que d’y renoncer par impossibilité d’obtention d’une certification ». Une double exigence en Indonésie : concilier la lutte contre le réchauffement climatique et le développement économique Sur la période, 2000-2010, avec 498 000/ha/an, l’Indonésie est le troisième pays au monde en matière de déforestation. Une situation qui reste alarmante donc, malgré les efforts entrepris par le Gouvernement actuel qui a réussi à la réduire considérablement puisqu’elle s’élevait à 1 914 000 ha/an entre 1990 et 2000. Les récentes mesures de conservation et de protection prises par le ministère indonésien de la Forêt ne sont pas étrangères à ce net ralentissement. La mission qui a rencontré à Jakarta le Secrétaire général du ministère des Forêts, Hadi Daryanto, précise le fondement de la nouvelle politique forestière : satisfaire dans le même temps les demandes internationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre et les attentes nationales de développement économique. Ainsi, si de nombreux efforts ont déjà été engagés, le chemin reste encore long afin de stopper la déforestation. A cet égard, l’Indonésie a mis en place, dans les forêts dégradées ainsi que dans les plantations, une politique de sauvegarde de couloirs de connexion environnementales reliant les blocs de forêts primaires, et ce, notamment pour la protection de la biodiversité. Puisque 60% de la population indonésienne vit dans les zones rurales où l’agriculture et la sylviculture sont les principales sources de revenus, une politique équilibrée doit associer les trois piliers du développement durable : environnement, économie et social. Le rapport souligne la nécessité d’une approche permettant de concilier à la fois conservation des forêts primaires, limitation de la déforestation et croissance économique afin de prendre en compte les besoins de développement du quatrième pays le plus peuplé au monde, qui compte actuellement 240 millions d’habitants et dont la population doublera d’ici la fin du siècle. Entreprises forestières indonésiennes et ONG Les actions en faveur du développement durable menées par un certain nombre de compagnies papetières ont clairement participé à une réduction de la pression sur la forêt. Les parlementaires ont notamment analysé les pratiques de gestion du groupe indonésien Asia Pulp & Paper (APP) souvent décriée par les ONG environnementalistes qui ont parfois lancé des appels au boycott des produits APP auprès des grandes marques internationales. Sur place, ils ont constaté qu’APP avait mis en place des mesures strictes de contrôle pour vérifier la traçabilité et la légalité du bois utilisé. En plus du contrôle à la sortie des forêts, un triple contrôleii existe en effet à l’entrée de chaque usine afin de respecter les normes en vigueur en matière d’essences de bois protégées et illégales. Les ONG ont eu raison de dénoncer la déforestation et ses conséquences néfastes sur l’environnement. Elles ont ainsi permis la prise de conscience des Gouvernements et des industries papetières. Les parlementaires et le rapporteur appellent cependant les associations environnementales à une certaine modération dans leurs déclarations. Elles doivent permettent aux acteurs d’aller dans le bon sens mais ne pas conduire à des excès qui pourraient détruire une économie et les emplois qui lui sont liés. Ils concluent : « dans la lutte contre la déforestation, tous les combats sont légitimes, mais encore faut-il s’interdire les moyens de mauvaise foi ».