Il fait annuler son refus de séjour pour une signature manquante (et gagne en plus 1000€)

Il fait annuler son refus de séjour pour une signature manquante (et gagne en plus 1000€)
Par Laetitia Laporte
Publié le 04 septembre 2025 à 17:22

Imaginez recevoir une décision qui bouleverse votre avenir, sans jamais savoir qui en porte la responsabilité. C’est le scénario vécu par un ressortissant guinéen, dont la demande de titre de séjour a été rejetée… avant que la justice ne vienne remettre les pendules à l’heure. Une affaire qui pourrait bien changer la façon dont l’administration traite les demandes sur le site Démarches simplifiées.

Un refus sans visage : le cas du ressortissant guinéen

Juillet 2024. Arrivé en France en 2018, un jeune guinéen espère régulariser sa situation grâce à une admission exceptionnelle au séjour, prévue par les articles L. 435-1 et L. 435-2 du CESEDA. Sa demande, déposée dans les règles, est pourtant rejetée par le préfet du Val-d’Oise. Mais rapidement, un détail intrigue son avocat : qui a signé cette décision ?

Sur Démarches simplifiées, plateforme désormais incontournable pour les procédures administratives, le document officiel ne mentionne ni nom, ni prénom, ni qualité du signataire. Un oubli aux conséquences inattendues…

Le jeune homme saisit alors le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. L’un des arguments majeurs ? L’absence de toute identification de l’auteur du refus. Derrière cette « simple » question de forme, un enjeu de fond : la légitimité et la transparence de l’action administrative.

L’exigence de signature : pas qu’un détail administratif

Le droit français est limpide : tout acte administratif doit être signé et comporter l’identité complète de son auteur. L’article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l’administration le martèle. Pourquoi une telle rigueur ? Pour garantir que la personne qui décide en votre nom… a bien le droit de le faire !

La signature et l’identification du fonctionnaire ne sont pas de simples formalités. Elles prouvent que la décision émane d’une autorité compétente et permettent à l’administré de contester, si nécessaire, la validité de l’acte.

Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté en jurisprudence. En 2019 déjà, le Conseil d’État rappelait que l’incompétence de l’auteur est un motif d’annulation d’un acte administratif, pouvant être soulevé à tout moment devant le juge.

Quand le numérique brouille les pistes

Avec la dématérialisation croissante, les décisions officielles sont de plus en plus souvent délivrées via des plateformes comme Démarches simplifiées. Mais la technologie ne doit pas effacer les règles fondamentales du droit.

Attention : le passage au numérique ne dispense pas l’administration de signer et d’identifier le fonctionnaire responsable. Omettre ces mentions, c’est risquer l’annulation pure et simple de la décision !

Le tribunal administratif de Lyon avait déjà, par le passé, pointé du doigt des pratiques similaires : une décision prise « par un agent sans mentionner son nom » avait été jugée entachée d’incompétence.

La confiance envers l’État en jeu

Derrière la question technique de la délégation de signature, se cache une notion clé : la confiance. L’État, par ses préfets, incarne la légitimité et la continuité de l’action publique. Pour chaque citoyen – ou étranger – il est essentiel de savoir si celui qui signe une décision en possède le pouvoir légal. Sans cela, le principe même de l’État de droit vacille.

La délégation de signature n’est pas un acte secondaire : elle atteste de la compétence du fonctionnaire et de la légalité de son action. C’est un garde-fou, mais aussi une protection pour l’administré.

En cas de contentieux, il appartient à l’administration de produire l’arrêté de délégation. Cette exigence formelle devient alors un rempart contre l’arbitraire et un gage de sérieux pour tous ceux qui s’adressent à l’administration.

Le tribunal tranche : sans identification, pas de validité

Dans le cas du ressortissant guinéen, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n’a pas hésité :

  • L’absence de signature, de nom, de prénom et de qualité du signataire rend la décision irrégulière ;
  • La compétence de l’auteur ne pouvant être vérifiée, le refus de séjour est annulé ;
  • L’État est condamné à verser 1 000 euros au requérant, au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Le tribunal n’a même pas jugé utile d’examiner les autres arguments de la défense : ce vice de forme suffisait à lui seul à faire tomber la décision préfectorale.

Une portée bien plus large qu’il n’y paraît

Si cette affaire fait date, ce n’est pas seulement à cause du cas individuel du requérant. Elle rappelle à tous – usagers, avocats, fonctionnaires – que la forme conditionne le fond en droit administratif. Et que la numérisation des procédures ne saurait amoindrir les droits des administrés.

La sécurité juridique, la transparence et le droit à une administration responsable demeurent des garanties effectives, et leur respect doit s’adapter à l’ère du numérique plutôt que s’y dissoudre.

Un simple oubli de signature peut donc tout changer. À l’heure où les démarches administratives se dématérialisent à grande vitesse, cette affaire rappelle que la confiance du public ne saurait reposer sur des algorithmes… mais bien sur la responsabilité humaine.

Pour tous ceux qui se sentent parfois perdus face à la machine administrative, ce jugement est un signal fort : la justice veille à ce que chaque décision soit prise, assumée, et surtout… signée.