Minimum vieillesse : pourquoi 50% des retraités éligibles n'en font pas la demande ?

Publié le 17 septembre 2025 à 07:00
Le dernier rapport de la Drees révèle une tendance silencieuse mais inquiétante : de plus en plus de retraités modestes sollicitent l’Aspa, mieux connue sous le nom de minimum vieillesse. Derrière cette hausse, des parcours de vie bouleversés, des carrières incomplètes et une précarité qui s’installe, loin des projecteurs. Pourquoi assiste-t-on à un tel phénomène ? Quels visages se cachent derrière les chiffres ? Et surtout, que révèle cette vague de demandes sur l’état de notre société ?
Un recours à l’Aspa en forte progression
Selon la Drees, le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse a bondi de 4,6% entre 2022 et 2023, pour atteindre fin 2023 la barre impressionnante de 723 020 personnes. Depuis 2018, cette augmentation ne cesse de se confirmer, témoignant d’une précarité persistante chez nos aînés les plus fragiles.
Particulièrement frappant : chez les retraités du régime agricole (MSA salariés), la hausse atteint +9,4%. Un chiffre qui s’explique par des pensions souvent plus faibles, reflet de carrières agricoles difficiles et mal rémunérées.
La majorité des nouveaux bénéficiaires de l’Aspa sont des femmes, souvent isolées, et leur nombre ne cesse d’augmenter. Un constat qui interroge sur l’évolution de la société et la protection de ses membres les plus vulnérables.
L’Aspa, une aide méconnue… et indispensable
Contrairement à une pension de retraite classique, l’Aspa (Allocation de solidarité aux personnes âgées) agit comme un filet de sécurité. Elle porte les ressources des seniors à un minimum vital : 1034 euros pour une personne seule, 1605 euros pour un couple en 2025. En 2023, ces montants étaient déjà respectivement de 1012 euros et 1492 euros.
Son fonctionnement est différentiel : elle complète une pension trop basse, ou la remplace entièrement si la personne n’a jamais cotisé. Fait marquant : 14% des bénéficiaires n’avaient jamais cotisé à un régime de retraite. Parmi eux, 78% sont des femmes, souvent victimes de parcours de vie hachés ou de longues périodes sans emploi déclaré.
Qui peut demander l’Aspa ?
Il faut avoir liquidé tous ses droits à la retraite, résider en France au moins 9 mois sur 12, et avoir des ressources inférieures à 12 411,44 €/an (personne seule) ou 19 268,80 €/an (couple). Les pensions, revenus du travail, et revenus du patrimoine sont pris en compte. L’Aspa peut se cumuler avec une activité dans la limite de 541 €/mois pour une personne seule.
Des profils de plus en plus jeunes et isolés
L’âge moyen des bénéficiaires de l’Aspa est de 73,7 ans, soit quasiment l’âge moyen de la population âgée de 62 ans et plus (74,4 ans). Un signe : les bénéficiaires font la demande plus tôt, parfois dès 65 ans, voire 62 ans en cas d’invalidité.
Autre réalité saisissante : 56,3% des bénéficiaires sont des femmes, dont la majorité vivent seules. On recense 77% de personnes isolées parmi les allocataires, et parmi elles, deux tiers sont des femmes. Après 90 ans, ce chiffre explose à 73%, conséquence de leur espérance de vie supérieure.
Des carrières hachées et des pensions dérisoires
Le portrait type du bénéficiaire de l’Aspa ? Une personne ayant eu une carrière incomplète. Seuls 10% ont validé une carrière complète, contre 66% dans le reste de la population retraitée. Près de 40% n’ont validé que moins de 80 trimestres !
Les pensions de retraite touchées sont en moyenne de 450 € mensuels (510 € avec la réversion), soit trois fois moins que la moyenne nationale (1 580 €). Le montant moyen de l’Aspa versé par mois ? 499 euros. Juste de quoi survivre, loin du confort.
Plus de la moitié (53%) des ménages bénéficiant de l’Aspa vivent toujours sous le seuil de pauvreté (1 932 € pour un couple en 2023). L’aide ne suffit donc pas à effacer la précarité, elle ne fait que l’atténuer.
Des disparités régionales marquées
Si en moyenne, 4,2% des Français de 62 ans et plus perçoivent le minimum vieillesse, ce taux explose dans certains territoires : 16,4% dans les départements d’outre-mer, 7,6% en Corse, 7,4% dans les Bouches-du-Rhône, 8,4% en Seine-Saint-Denis. Pourquoi de tels écarts ? Ils révèlent l’empreinte des inégalités sociales, territoriales et professionnelles qui perdurent à la retraite.
En région parisienne, la précarité des seniors est particulièrement marquée, avec des taux supérieurs à la moyenne nationale. Un phénomène qui s’explique par des parcours professionnels morcelés et des loyers élevés.
Une aide encore trop peu demandée
Paradoxalement, la moitié des personnes éligibles à l’Aspa n’en font pas la demande. Ignorance de l’existence de l’aide, dossiers trop complexes, ou crainte de la récupération sur la succession sont autant de freins.
En effet, l’Aspa est récupérable sur la succession, mais seulement si le patrimoine dépasse 107 616,60 € en 2025 (150 000 € dans les DROM). Or, 87% des héritages en France sont en dessous de ce seuil. Depuis la réforme de 2023, le risque de récupération s’est nettement réduit.
Bon à savoir : même si une partie de l’Aspa peut être récupérée sur la succession, la grande majorité des héritiers n’est pas concernée. Ce frein ne devrait donc pas dissuader de faire la demande.
Ce que cette tendance dit de notre société
L’augmentation du recours à l’Aspa n’est pas un simple chiffre. Elle traduit la montée silencieuse de la précarité chez les seniors, souvent isolés, majoritairement des femmes, aux carrières morcelées. Si le filet de sécurité existe, il ne suffit pas à sortir de la pauvreté. Les disparités régionales et sociales persistent, et l’ombre de la précarité plane toujours sur la fin de vie.
Face à ce constat, l’urgence est double : mieux informer sur l’existence de l’Aspa, et agir sur la complexité des démarches. Car derrière chaque dossier accepté, il y a une vie, un parcours, et l’espoir d’une vieillesse plus digne.