L’avant n’était jamais le Jardin d’Eden et l’Arche de Noé n’est passé qu’une fois et pourtant, sans aucune explication rationnelle ni divine, il y a eu des élus qui ont pu franchir cette ligne de l’avant à l’après pour que puisse se poursuivre l’édification de la Société.
Sur des intervalles temporels plus étroits, l’Homme a aussi connu de nombreuses déchirures liées à des systèmes politiques qui ne pouvaient perdurer éternellement même si chacun pouvait a minima présenter des avantages, tous présentent un maximum d’inconvénients. D’ailleurs, Jean Rostand ne disait-il pas que « Tant qu'il y aura des dictatures, je n'aurai pas le cœur à critiquer une démocratie » ? Ruy Barbosa ne disait-il pas : « la pire des démocraties est de loin préférable à la meilleure des dictatures » ? Enfin Georges Elgozy avec une pointe d’humour considérait que « la démagogie est à la démocratie ce que la prostitution est à l'amour ». Des pensées d’Hommes intellectuels, philosophes, scientifiques sur le thème de la démocratie et finalement la place de l’Homme dans la Société sont légion. Mais toujours est-il que le sujet a alimenté cette réflexion et parfois même une analyse davantage profonde car il fallait, impérieusement, trouver les mots pour expliquer le destin. Pour séparer le bon grain de l’ivraie. Pour discerner le bien du mal. Pour (se) rassurer face à ces déchirures que tant continuent pour des raisons iniques à entretenir au nom de la suprématie religieuse ou ethnique, au nom d’un passage en force d’idéologies censées être salutaires ce qu’elles ne sont jamais.
L’avant n’était jamais le Jardin d’Eden et l’Arche de Noé n’est passé qu’une fois et pourtant, sans aucune explication rationnelle ni divine, il y a eu des élus qui ont pu franchir cette ligne de l’avant à l’après pour que puisse se poursuivre l’édification de la Société.
En revanche, ces « élus » qui traversent ces déchirures peuvent peu ou prou tous témoigner que la fin de l’avant n’est pas la fin du monde et surtout que l’après une fois stabilisé est tout sauf l’Enfer ou l’empire de Satan.
La République a été conquise dans notre pays, de haute lutte. Personne aujourd’hui n’accepterait l’idée d’un retour en arrière. De plus, au moment de la révolution française la déchirure a été puissante et forte. Il y a eu des gagnants et des perdants. Comme au jeu. Comme le hasard nous sert nos plats au quotidien.
La 1ère République était vraiment pour nos compatriotes l’entrée dans un Nouveau Monde ou de nouvelles règles devaient s’établir et être respectées, un espace plus juste et plus prospère pour celles et ceux qui le voulaient ou tout simplement en acceptaient l’augure. Tous ont commencé, à compter de cette déchirure, une nouvelle vie dont les fondations ne pouvaient qu’être plus solides, s’étant, au passage, libérés des fers qui les maintenaient prisonniers d’une situation devenue impossible.
Lorsque la chute du Mur en 1989 matérialisait par ce symbole et pour le Monde entier la fin d’un règne et d’un système qui fit périr des millions d’innocents et qui muselait des centaines de millions de personnes terrées derrière ce rideau de fer et ce mur symbolique, le « Mal », enfin brisé tandis que le « Bien », idéalement le « rêve américain », outre-Atlantique, pouvait enfin cacher d’un voile pudique les funestes périodes de l’espionnage, de la guerre froide, de la course et la surenchère militaire, …
Depuis le début des années 90, un Nouveau Monde est né avec des pôles d’influence qui ont bougé, qui se sont créés, qui parfois ont été transformés. L’Homme a accueilli avec les honneurs dus à son rang cette nouvelle étape de la construction démocratique de notre Société. La déchirure a été une épreuve. Mais celle-ci fut salvatrice.
Dans le même ordre d’idées, la crise financière récente, la crise de l’automobile ou de l’immobilier, la crise de l’euro maintenant ont été et sont des déchirures. La différence étant peut être que certaines eurent pu être évitées mais c’est l’Homme, par ses actes et ses décisions, qui en porte la responsabilité. Pleine et entière. L’avenir proche sera rude. D’autres secousses viendront aggraver les déchirures existantes, les brèches déjà ouvertes.
S’ils sonnent le glas de pratiques qui nous ont conduits là où nous sommes, nous ne pouvons que nous en féliciter et à chaque étape de notre vie, à titre personnel comme professionnel, apparaissent souvent ces déchirures qui ouvrent des plaies vite refermées par les opportunités de « nouvelle vie » qui sont alors possibles. Plus rien ne sera comme avant. Et nous en sommes les acteurs comme les valets. Pas la déchirure …
Bernard Marx
En exergue
« Le théâtre, établi dans la déchirure entre le temps du sujet et le temps de l'histoire, est l'une des dernières demeures de l'utopie » disait Heiner Müller